Travail à la mine
En Australie on ne veut pas de centrales nucléaires. Mais alors pas du tout. Au point de l’inscrire dans les lois pour l’état du Queensland qui se vante d’être « nuclear free ». Ça serait tout à leur honneur si c’était dans une intention louable de protéger l’environnement au profit des énergies renouvelables.
Mais quand on ne veut pas de nucléaire, qu’on implante quand même une mine d’Uranium dans un endroit maintenant classé parc naturel, terre aborigène, que cet Uranium est vendu à d’autres pays en tant que combustible, et que la principale source d’énergie d’Australie est le charbon… alors il devient assez dur de plaider la cause environnementale dans ce choix de politique énergétique. Ça devient même impossible, mais ce n’est pas comme s’ils essayaient de le faire, loin s’en faut, le choix est évidement celui du rendement maximum en surfant sur la vague de croissance des pays comme la Chine.
Et je lis en ce moment que les déchets de drainage de la construction du port de Gladstone (principalement pour le transport du charbon) viennent d’être autorisés à être déversés prêt de la barrière de corail dans l’est, pendant que les requins sont abattu dans l’ouest s’ils ont le malheur d’oser s’approcher trop près des côtes.
Cette petite introduction qui démontre que l’Australie est loin d’être le pays parfait comme certaines émissions veulent nous faire croire plante le décor de mon actuel déplacement. Je suis en ce moment dans la mine d’Uranium « Ranger », en plein milieu du parc naturel de Kakadu (oui moi aussi j’y ai pensé, kamoulox, kad & O, tout ça, un peu de sérieux s’il vous plait).
Il faut savoir que l’Australie dispose de 23% des ressources d’Uranium mondiale, et en est le troisième exportateur mondial. Le tout exclusivement pour le nucléaire civil.
C’est mon premier job dans une mine et c’est une industrie assez unique, bien différente des raffineries et autres centrales électriques. On y retrouve quand même les barbus sales à la barbe grise qui font passer des bikers tatoués pour les chanteurs de One Direction, de ce côté-là rien ne change, les conditions difficiles forgent les hommes à la dure.
did ya fuckin sign on the fuckin permit, fuckin… grab me fuckin piece of paper will ya, cheers maaate, too easy. Did you just see this fuckin c**t
Voilà la douce mélodie du matin qui termine de me réveiller à 6h tandis que le soleil tarde à se lever. Heureusement que peu après les perroquets prennent le relai.
Des gens bruts de coffrage et des salaires mirobolants, les conditions sont dures, les femmes se font rares, la vie au camp difficile. La contrepartie est néanmoins intéressante car des soudeurs ici touchent 130 000$/an pour des fly in/fly out d’une semaine. Certains louent même une maison à Bali pour la semaine libre…, ceux-là ne dépensent virtuellement rien et en 5 ans peuvent s’acheter une maison sans prêt.
Comme d’habitude, et cela devient de plus en plus énervant, j’ai reçu mon billet d’avion à 17h pour un départ le lendemain matin. L’aventure… ou pas.
Brisbane-Darwin, puis Darwin-Jabiru en vol charter dans un petit avion dans lequel même moi je devais me baisser pour avancer. Le vol permet de voir le parc de Kakadu d’en haut, à travers les nuages omniprésents de la saison des pluies. Le camp est plus que spartiate et s’apparente à une prison. Des préfabriqués prenant l’eau des pluies diluviennes, une porte en acier et le strict minimum composent la chambre. Heureusement la cantine est bien et il y a une salle de gym à disposition pour remplir le reste de la journée déjà bien remplie.
12h par jours, 13 jours de suite, un jour de repos, et on recommence une deuxième fois, au point d’en oublier quel jour on est.
Ah, j’ai aussi oublié de dire qu’est ce qui m’amenait ici. Je vais donc raconter une petite histoire, asseyez-vous confortablement.
Il est 2h du matin à la mine Ranger, rien ne perturbe le calme de la zone de traitement de l’uranium extrait lors du shift de nuit des employés. Évidemment, le café coule à flot pour relever les paupières qui tombent un peu trop facilement, résultat d’un cycle circadien perturbé, mais les employés de nuits s’estiment heureux de ne pas souffrir de l’humidité infernale de la saison des pluies, où le soleil venant évaporer l’eau fraichement tombée transforme l’extérieur en véritable sauna. Peut-être un crocodile qui se serait aventuré dans l’enceinte – cela arrive de temps en temps – aurait perturbé cette tranquillité d’une nuit comme toute les autres.
Mais pas cette nuit, car cette nuit des années de mauvaise maintenance et de mauvais suivi des équipements (condition monitoring & asset management, ça sonne mieux) allaient rattraper le responsable fiabilité équipement et l’empêcher de dormir un bon moment sur ses deux oreilles.
2h30, une fuite est détectée dans un réservoir de stockage contenant une mixture de boue, d’uranium et d’acide sulfurique à 98%. Nasty stuff comme on dit. La fuite sous l’effet de la pression se propage à quelques mètres et des employés tentent de la contenir à l’aide d’une grue mobile et d’une plaque de métal, puis évacuent la zone sentant bien leur impuissance face au réservoir de 12 mètres de haut qui les menace.
2h50, le réservoir s’ouvre comme une braguette de jean, mais de bas en haut, déversant 1 500 000 litres de produit en quelque secondes, balayant la grue et les alentours sur une bonne vingtaine de mètres, et devenant ainsi l’incident environnemental le plus grave depuis pas mal d’années, faisant l’objet d’articles sur des sites d’infos nationaux. Les abos s’inquiètent pour leurs terres et ont bien raison.
Il semblerait que le revêtement de protection intérieur se soit détérioré, laissant le métal apparent. A partie de là c’est une question de mois avant que ça s’effondre, une vraie bombe à retardement, qui pose la question de la sécurité des autres équipements de la mine.
Et nous on est là, maintenant à inspecter les autres réservoirs pour s’assurer qu’ils n’ont pas le même problème. Réservoirs vides heureusement, le site est fermé à la production, perdant 1 million de $ par jours. C’est les actionnaires qui sont content…
D’un point de vue moins “boulot”, le climat ici est assez dur. L’humidité est extrême, le soleil se succède a la pluie pour évaporer l’eau dans une chaleur étouffante. Boire beaucoup d’eau est essentiel.
J’espère que j’aurai l’occasion de visiter et photographier un peu les alentours lors de mon day-off, mes trouvailles seront l’objet d’un prochain article!